Le problème du prédicateur

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Français / Archives / 2013 / 2e Trimestre 2013

 

Le problème du prédicateur

Charles Wesley Knight

 

Note de la rédaction: cet article est l’adaptation d’un sermon prêché lors de la conférence sur l’évangélisation et le leadership, présenté à l’université Oakwood, Huntsville, Alabama, États-Unis, le 6 décembre 2011.

Tout prédicateur et dirigeant chrétien accomplit son ministère dans le contexte d’un problème. Paul, l’apôtre du Nouveau Testament, pouvait faire réfléchir les savants de la colline de Mars, mais il avait un problème. Ses puissantes proclamations sont impressionnantes, mais il avait quand même un problème. Nous n’entendons Paul parler de ce problème qu’une seule fois, comme si ce problème n’avait pas grande importance. Cette unique mention de son problème ressemble à ce que nous faisons aujourd’hui: minimiser nos difficultés. Trop de prédicateurs ne sont pas en relation avec la réalité de leur propres problèmes parce qu’ils se spécialisent dans l’aide aux autres face à leurs problèmes.

Le problème de Paul semble être révélé dans 2 Co 12.7 où il décrit «une écharde… dans la chair» qui lui fut donnée.1 C’est un problème pour Paul parce que c’est douloureux. Cette «écharde» était probablement de nature physique, causant au prédicateur douleur et inconfort. Comment peut-on prêcher et diriger au milieu de la douleur?

Tous les prédicateurs dirigent avec un genre de douleur. Et parfois nous sommes tentés d’attribuer la cause de la douleur aux personnes que nous dirigeons. Certains pasteurs croient que si on leur confiait une nouvelle paroisse ou si on les envoyait ailleurs pour un nouveau ministère, la douleur disparaitrait. Mais cette douleur ne peut être contournée par un autre lieu de travail du fait qu’elle est dans la chair; elle est personnelle. Paul la décrit aussi comme persistante. Il est dit qu’il a demandé trois fois à Dieu de l’éloigner de lui. Et Dieu ne lui a pas accordé ce souhait. Comment un prédicateur, qui prie avec succès pour tant d’autres personnes, s’accommodet-il du fait que sa douleur personnelle persiste, bien qu’il ait sollicité un sursis?

Le défi de sa douleur est qu’elle est chronique. Nous pouvons tous accepter un temps de douleur, ou d’inconfort, mais la douleur de Paul était de celles qui durent. Et pire encore, cette douleur était permise par le Dieu même qui l’avait appelé à prêcher l’évangile. Si nous sommes honnêtes, la plus grande douleur nous vient non de ce qui nous arrive, mais de celui qui la permet. Paul était occupé à faire avancer le royaume de Dieu. Un des avantages de son travail aurait pu être d’être préservé d’une telle douleur. Pourtant, il en est réduit à parler aux gens d’un Dieu qui permet sa douleur personnelle. Le problème de Paul est douloureux, personnel, persistant, et permis. Et pourtant il doit prêcher.

Le problème n’est pas le problème

Nous pourrions, au départ, être conduits à croire que la douleur de l’écharde de Paul était le problème, mais cela n’était pas le cas. Nous préfèrerions tous ne pas avoir de douleur, et si possible, supprimer les douleurs que nous subissons en tant que prédicateurs. Mais la douleur de Paul n’était pas son vrai problème, pas plus que les douleurs que nous subissons. En fait, la douleur de Paul était l’antidote au vrai problème. Le problème potentiel auquel chaque prédicateur doit faire face est le succès de son ministère. Dans bien des cas, le diable n’est pas notre plus grande rétribution. Paradoxalement, notre plus grand danger peut venir d’être utilisé puissamment par Dieu. Ce danger pourrait être le sentiment qui nous vient en présentant un message fort, ou l’euphorie qui nous saisit quand on nous demande de servir comme élément principal d’un évènement vedette, ou d’accepter d’être élu à un poste administratif hautement important. Le véritable problème auquel Paul était confronté, comme tout pasteur, est l’orgueil. Tout pasteur qui se tient devant une église, ou une assemblée de manière régulière, doit lutter contre le risque de devenir vaniteux à cause de la qualité supérieure du message.

Je dois reconnaitre que ça a été mon problème en tant que prédicateur, car j’ai eu l’occasion, durant mon court stage comme prédicateur consacré, de prêcher dans plusieurs pays. Il y a eu des occasions où la Divinité a rayonné à travers mon manuscrit pitoyable, et enflammé le lieu de conviction et de célébration. J’ai souvent été témoin du miracle du grand nombre de personnes repentantes s’avançant vers l’avant de l’église en réponse à ce que le Saint-Esprit disait par moi. Je veux reconnaitre que toute la louange appartient à Dieu. Je suis d’accord que c’était le résultat de son Esprit qui parlait au cœur et à l’esprit des gens. Pourtant, dans ces moments de gloire homilétique, j’ai souvent été tenté de voler la gloire à Dieu, ou au moins de la partager. J’ai été tenté de croire que la puissance qui passait par moi, avait son origine en moi.

Cette rétribution interne est souvent présente avec moi sur la chaire. Des fois, une lutte invisible s’engage sur la chaire : mon orgueil lutte avec le désir de Dieu que je parle à son peuple en toute simplicité. Je peux sentir quand Dieu me dit de me détourner des notes que j’ai étudiées et répétées, mais j’ai de la peine à obéir car je désire finir les phrases que j’ai composées avec soin. Il y a même des moments où je sens que Dieu me dit de finir mon sermon plus tôt, mais je soutiens avoir encore quelques perles plus sagaces à partager. Ainsi, malheureusement, je dois admettre que parfois ma volonté égoïste l’emporte. J’ai une écharde, et je soupçonne que tous les prédicateurs en ont aussi une.

L'ego du prédicateur est un chose fragile, facilement nourrie par les occasions que nous espérons avoir dans le ministère. La nature de la proclamation de l’évangile est de placer le messager dans une situation précaire. La réalité, c’est que, même si toute la louange appartient au Dieu qui vous a donné le message, les gens ne peuvent ni voir ni toucher Dieu. Cependant, les gens peuvent voir et toucher le prédicateur. Ils essaient de répondre à un message spirituel et divinement inspiré, tout en montrant leur appréciation à un messager humain défectueux et fragile. Ceci offre une tentation séductrice pour le narcissisme du prédicateur. «Les dirigeants chrétiens utilisent souvent ceux qu’ils conduisent pour rehausser leur propre image, et pour améliorer ce qu’ils ressentent au sujet d’euxmêmes.»2 La vérité? Beaucoup de prédicateurs souffrent de blessures émotionnelles et psychologiques qui colorent leur manière de voir et de pratiquer le ministère.

Malheureusement, du fait des attentes surhumaines que nous plaçons sur nousmêmes ou que nous acceptons de la part de nos paroissiens, nous négligeons la guérison dans ces lieux sombres et profonds. Ainsi, nous commençons à soigner notre estime de soi, brisée et fragile, avec la «médication du ministère». Cette pratique de la médication du ministère nous permet de prêcher et de diriger avec l’intention de glorifier Christ, alors qu’en réalité nous nourrissons notre orgueil et notre estime de soi dans un effort inconscient d’agir sur nos propres problèmes émotionnels et psychologiques.

Comparer et concourir

La pratique de la comparaison et de la compétition est également employée dans le ministère pour nourrir notre orgueil. Nous avons créé un esprit de corporation à la mesure de notre succès pastoral. Nous utilisons les nombres de baptêmes comme notre solde final. Les bâtiments d’église sont considérés comme développant notre réputation. La présence à l‘église devient la mesure statistique hebdomadaire que nous utilisons pour déterminer le progrès. Nous utilisons ces mesures pour nous comparer avec d’autres églises «compétitives.»

Ces outils de mesure sont inadéquats et inappropriés face aux principes bibliques. Tous NOUS désirons que nos églises croissent en nombre et en service, MAIS ce ne sont pas là les seules mesures que Dieu utilise. En fait, Paul nous donne un aperçu de son CV pastoral dans 2 Corinthiens 11.23-30, et il ça ne ressemble pas aux curriculum vitae que nous pourrions lire aujourd’hui. Paul demande «Sont-ils ministres de Christ? - Je parle en homme qui extravague. -Je le suis plus encore: par les travaux, bien plus; par les coups, bien plus; par les emprisonnements, bien plus. Souvent en danger de mort,» (v. 23) Paul définit son ministère, mais non par le nombre de personnes qu’il a gagnées pour Christ. Il définit son service pour Christ par le nombre de défis et de difficultés qu’il a endurés à cause de sa fidélité à l’appel. Il nous en donne la liste ; il a reçu 39 coups en cinq occasions différentes, été battu trois fois avec des verges, lapidé, fait naufrage, été en danger constant sur la mer, dans la ville, et parmi son propre peuple. Il décrit des nuits sans sommeil, des jours souffrant de la faim. Il conclut cette sombre liste d’expériences en déclarant, «S'il faut se glorifier, c'est de ma faiblesse que je me glorifierai!» (v. 30). Paul mesure son succès pastoral par ses cicatrices, alors que nous nous mesurons par nos étoiles!

Les expériences de nos jours semblent être en opposition directe avec l’expérience de Paul et de bien d’autres prédicateurs du Nouveau Testament. Au premier siècle, vous n’aviez pas réellement prêché tant que quelqu’un n’avait pas cherché à vous tuer. La popularité et l’acceptation du message n’étaient pas l’objectif central, comme le contexte de vedettariat de nos jours. La définition du succès dans le ministère ne doit pas être la performance, la présence, le nombre, ou même les finances. Ce doit être la fidélité dans le travail qu’il nous a donné. Dans ce but, Dieu permet les échardes douloureuses. Pour paraphraser et adapter un negro spirituel: J’ai une écharde, vous avez une écharde, tous les prédicateurs ont une écharde.

Paul décrit l’écharde comme «un ange de Satan» (2 Cor.7). Ceci soulève la question : qui est responsable de cette écharde? Paul semble placer le blâme sur Satan qui utilise cette écharde afin de le tourmenter. Néanmoins Paul dit que l’écharde est nécessaire pour le maintenir humble. L’écharde est-elle l’agent de Satan ou celui de Dieu? Dieu et Satan peuvent utiliser les échardes de notre vie. Il y a des réalités douloureuses dans la vie de tous les prédicateurs que Satan cherche à utiliser pour nous décourager, ou nous faire taire. L’écharde représente ce qui, dans votre vie, cause une grande anxiété ou douleur. Ce pour rait être un sentiment d’insuffisance. Le malin utilise l’écharde pour vous convaincre que vous ne serez jamais assez bon. Il l’utilise pour vous dire que vous êtes inadéquat et inefficace. Dans 2 Corinthiens 12.7, le mot que nous traduisons «souffleter» est kolaphizo. Ce mot évoque l’image d’un visage frappé par un poing fermé. Ces coups décourageants peuvent devenir persistants et irrépressibles dans l’esprit du prédicateur. Ils peuvent vous faire venir devant la chaire, ou au comité d’église, avec le saignement interne du doute. La pensée persistante et les doutes peuvent faire croire au prédicateur qu’il est incapable d’accomplir ses tâches pastorales. La Bible note la futilité de la prédication, et l’appelle «folie» (1 Co 1.18). Nous ne serons jamais assez bons ni dignes de la vocation qui agit dans nos vies. C’est vrai. Pourtant ce n’est qu’une demi-vérité comme tant des messages de Satan à l’humanité.

Pourquoi Dieu permet-il de telles échardes?

Dieu permet cette écharde dans notre chair pour nous faire connaitre notre faiblesse et notre fragilité. Ce que Satan fait pour nous décourager a le potentiel de nous humilier. L’humilité est la véritable position de puissance. Quand on fait l’expérience de l’humilité, les barrières de l’ego et de l’agenda humain sont écartées du chemin, ce qui ouvre la voie pour que Dieu se révèle. La grandeur est toujours accomplie par ceux qui ne recherchent pas de gloire personnelle. C’est pour cela que Jésus parlait souvent de l’humilité dont il était un modèle. Jésus comprenait que l’orgueil était à l’origine du péché dans le ciel, et la seule l’humilité peut le soigner. Jésus permet l’écharde afin de placer Paul, et chaque prédicateur, dans une position de véritable force spirituelle. Charles Spurgeon était connu comme un des plus grands prédicateurs de sa génération; mais son écharde était une maladie douloureuse qui le rendait dépressif. Martin Luther King Jr. fut un des hommes les plus influents de son siècle, et pourtant il était constamment incompris par sa propre race, et haï par beaucoup d’américains. L’écharde semble être la marque distinctive de chaque prédicateur qui cherche à transformer le monde par la Parole. Tous les prédicateurs de Dieu ont des échardes.

La foi résolue de Paul, après avoir plaidé pour être débarrassé de son écharde, peut venir de sa compréhension du mot écharde dans le grec classique. Le mot skolops, traduit par écharde, est employé une seule fois dans la Bible. Cependant, ce mot, dans le grec classique, décrit un pieu qui, enfoncé dans la terre, maintient la tente en place. Le fait que Paul était un faiseur de tentes n’était pas une coïncidence. Paul utilise ce mot pour nous signifier le but de l’écharde dans son ministère. L’écharde agit comme un pieu pour maintenir le prédicateur en place. Paul savait que, sans le pieu, la tente pouvait être emportée par des vents qui hurlaient et par de terribles tempêtes. Les échardes dans notre ministère sont comme des pieux qui nous gardent en place afin que nous ne soyons pas emportés par la douleur inattendue de notre ministère. Dieu sait que si ce n’était mon écharde, j’aurais permis aux exigences de mon ministère de ruiner mon mariage Si ce n’était mon écharde, j’aurais quitté le ministère à cause de l’amertume d’un traitement injuste. Mais l’écharde me maintient en place. L’écharde ne me laissera pas partir. Elle ne me rendra pas silencieux. L’écharde me pousse à terre dans la prière fervente. L’écharde me rappelle que je ne suis que poussière. L’écharde demande que je m’arrête et sache qu’il est Dieu (Ps 46.10). Le miracle de l’écharde est que ce que j’avais demandé à Dieu d’enlever était la chose même qu’il emploie pour sauver mon ministère.

Finalement ces deux réalités préservent chaque ministère de prédicateur de la destruction : écharde et grâce. L’écharde nous rend humbles, la grâce nous encourage. La solution pour notre orgueil pastoral est l’écharde, représentée par les situations douloureuses de la vie, ainsi que nos insuffisances. Dieu a assuré Paul que ce dont il avait le plus besoin n’était pas sa suppression, mais sa révision. Le centre d’intérêt passe maintenant de la douleur du prédicateur à l’objectif de Dieu. La faiblesse pastorale a le potentiel de révéler la force divine. La vérité c’est que les prédicateurs n’ont pas à être surhumains. Nous ne devons pas être corrects tout le temps. Nous aussi pouvons être blessés, pleurer et lutter. Nos échardes révèlent sa grâce. Ainsi donc, il y a un appel inhérent à tous les prédicateurs d’accepter les échardes de leur ministère. Paul dit, « Quand je suis faible, c'est alors que je suis fort » (2 Cor 12.10). Notre force n’est pas de cacher nos insécurités, nos déceptions et nos douleurs, mais de les confesser. Nos églises, nos fédérations ou unions et nos populations ont besoin de comprendre que nous prêchons et dirigeons avec des échardes humaines.

La lettre de Paul aux Corinthiens est un acte de confession publique. Paul savait que l’on ne conquiert jamais ce qu’on ne confesse pas. L’exemple de Paul pour tous les prédicateurs est de vivre dans l’authenticité de leur faiblesse. Confessez la fierté qui cherche à faire dérailler votre prédication. Recevez votre ministère comme un don qui n’est là que pour révéler la gloire de Dieu. Souvenez-vous que la fidélité est la mesure du succès pastoral. Laissez de côté la façade et soyez le canal inadéquat de sa grâce. Prêchez, travaillez, et dirigez avec votre écharde. Quand vous le faites en toute humilité, et par la grâce de Dieu, le problème du prédicateur devient sa force.


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1. Tous les textes bibliques dans cet article sont de la Bible version Louis Second.

2. Gary L. McIntosh et Samuel D. Rima Sr., Overcoming the Dark Side of Leadership (Grand Rapids, Mi; Baker Publishing Group, 1997), 99.

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